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Page:Saint-Point - L’Orbe pâle, 1911.djvu/60

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ces petits poulpes rose pâle qui, dans les jours chauds dont les nuits sont lunaires, flottent à la surface et au moindre contact blessent la chair de l’homme envahisseur de la mer. J’ai vu toutes ces vies, toutes ces choses, et bien d’autres encore.

J’ai vu moi-même, j’ai vu tout ce que je porte en moi de rêves, s’inscrire sur les rocs sombres en écriture de feu. J’ai, sur ce sable des profondeurs, élevé les édifices où j’ai jeté mes créatures et les statues de mes désirs pétrifiés par la réalité. Et un mouvement de la barque ou un remous de la mer détruisait à mesure que je créais.

Au fond de la mer, toutes les plantes immobiles et tous les poissons fureteurs attendaient le hasard, l’impossible possible ; le pêcheur dans la barque, inlassablement, attendait le poisson comme il l’attend chaque nuit sous la lune. Et moi, seule, je trompais l’attente en créant, en traçant sur le roc immergé dans l’eau, en édifiant sur le sable mobile.