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Page:Sainte-Beuve - À propos des bibliothèques populaires, 1867.djvu/19

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deviennent les honnêtes gens du lendemain et ceux que la société porte le plus haut et préconise. (Légers murmures.) Malheur alors à qui les a persécutés ou honnis ! Agir à leur égard de la sorte, les associer et les accoler à d’indignes voisins pour les confondre dans un même anathème, c’est se faire tort, c’est se préparer de grands mécomptes, et, si le mot était plus noble, je dirais, de grands pieds-de-nez dans l’avenir. (Oh ! oh ! — Chuchotements.) On fera un jour l’histoire de nos opinions, messieurs, et de tout ceci. Il ne faut pas plus d’une de ces grosses méprises pour rendre un nom, d’ailleurs honorable, ridicule à jamais devant toute une postérité.

Messieurs, vous qui êtes des politiques, veuillez encore vous dire ceci : L’Empire, que nous aimons tous et que nous maintenons, n’a aucun intérêt à pencher tout d’un côté. Et pourtant, à voir ce qui se passe habituellement dans les hautes sphères, dans la haute société, dans les salons, — et il me semble que nous sommes ici, à bien des titres, dans le plus grave et le plus respecté des salons, — on croirait véritablement qu’il n’y a en politique qu’un centre droit, qu’un côté droit, et que tout ce qui était autrefois la gauche, — la gauche constitutionnelle, — est supprimé. J’élargis un peu, en ce moment, le cercle de la discussion ; mais je suis en plein dans la question générale, au cœur de cette question. Dieu merci ! nous vivons sous un régime qui a la base la plus large que régime ait jamais eue en France, et qui ne saurait vouloir rétrécir la croissance de la raison moderne dans ses développements les plus légitimes. C’est donc être fidèle, selon moi, à l’esprit de la Constitution, dont nous sommes les gardiens, que de ne pas laisser s’autoriser dans cette enceinte cette apparente unanimité de réprobation contre tout ce qui sent le libre examen, quand il se contient, en s’exprimant, dans les termes d’une discussion sérieuse, non injurieuse. Je ne comprendrais pas que sous le règne d’un Napoléon[1], c’est-à-dire d’un souverain qui est jaloux sans doute

  1. La pensée de Napoléon ler sur ce point est nettement exprimée dans un passage de sa Correspondance : « Qu’on soit athée comme Lalande, religieux comme Portalis, philosophe comme Regnaud, on n’en est pas moins fidèle au Gouvernement, bon citoyen. De quel droit donc souffrir ouverte-