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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/112

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je vois défiler ces beautés diverses, l’escadron des filles d’honneur de la duchesse d’York et de la reine ; je relis le texte en regard, et je trouve que c’est encore l’écrivain avec sa plume qui est le plus peintre : « Cette dame, dit-il d’une Mme Wetenhall, était ce qu’on appelle proprement une beauté tout anglaise ; pétrie de lis et de roses, de neige et de lait quant aux couleurs ; faite de cire à l’égard des bras et des mains, de la gorge et des pieds ; mais tout cela sans âme et sans air. Son visage était des plus mignons ; mais c’était toujours le même visage : on eût dit qu’elle le tirait le matin d’un étui pour l’y remettre en se couchant, sans s’en être servie durant la journée. Que voulez-vous ? la nature en avait fait une poupée dès son enfance ; et poupée jusqu’à la mort resta la blanche Wetenhall. » Ainsi de l’une, ainsi des autres ; et aucune ne se ressemble. Hamilton n’est pas le Van Dyck de cette Cour ; il n’a pas cette gravité du grand peintre royal ; mais il est un peintre à part avec son pinceau doué de mollesse, de finesse et de malice. L’espiègle Ariel se joue dans toute cette partie des Mémoires, et il se plaît souvent à embrouiller l’écheveau. Que de mystifications, que de folles histoires, que de jolis épisodes à travers cet imbroglio croissant ! Quel contraste ironique de cette vie de jeunesse avec l’expiation finale à Saint-Germain ! La dernière page où se résument en mariages ces bizarreries de l’amour et du hasard termine à merveille ce gracieux récit, dont la fin commençait à traîner un peu[1].

  1. Lord Byron, dans une lettre à Murray (Ravenne, 12 octobre 1820), écrivait au sujet de son Don Juan et de ce qu’en disaient les femmes : « … La vérité, c’est que c’est trop vrai, et les femmes détestent tout ce qui ternit l’oripeau du sentiment ; elles ont raison, car c’est leur arracher leurs armes. Je n’ai jamais connu de femme qui, par ce même motif, ne détestât les Mémoires de Grammont, jusqu’à lady ***, qui avait coutume d’en médire. »