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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/152

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le piège, y restèrent. Mais la nation aussi restait derrière eux, et à cette nouvelle soudaine, par une sorte de commotion électrique, l’Espagne tout entière se leva.

Le IXe volume de M. Thiers est consacré à retracer les premières et déjà terribles conséquences de l’attentat de Bayonne. Ce volume se compose de trois livres, intitulés Baylen, Erfurt et Somo-Sierra. Dans le livre de Baylen, on suit d’un bout à l’autre le soulèvement de l’Espagne, les atroces cruautés de la populace mêlées à l’énergie du patriotisme, et qui le souillent si aisément en tout pays. Ces indignes scènes qu’il flétrit n’empêchent pas M. Thiers de rendre hautement justice au sentiment généreux qui transporta l’Espagne à cette heure :

« Je ne suis point, dit-il, je ne serai jamais le flatteur de la multitude. Je me suis promis, au contraire, de braver son pouvoir tyrannique, car il m’a été infligé de vivre en des temps où elle domine et trouble le monde. Toutefois, je lui rends justice : si elle ne voit pas, elle sent, et, dans les occasions fort rares où il faut fermer les yeux et obéir à son cœur, elle est, non pas un conseiller à écouter, mais un torrent à suivre. Le peuple espagnol, bien qu’en repoussant la royauté de Joseph il repoussât un bon prince et de bonnes institutions, fut peut-être mieux inspiré que les hautes classes. Il agit noblement en repoussant le bien qui lui venait d’une main étrangère, et, sans yeux, il vit plus juste que les hommes éclairés, en croyant qu’on pouvait tenir tête au conquérant auquel n’avaient pu résister les plus puissantes armées et les plus grands généraux. »

Le livre de Baylen nous montre les tâtonnements et les premiers revers des lieutenants de Napoléon, isolés dans un pays montueux, sous un climat brûlant, au cœur d’une population ennemie ; la flotte française écrasée la première dans le port de Cadix, et forcée de se rendre, et bientôt enfin le désastre célèbre qui fut le premier et même le seul affront de ce genre qu’eurent à