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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/155

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apprenant ce désastre du général Dupont, Napoléon, qui était alors à Bordeaux, entra en fureur ; dans le premier moment de colère, il parlait de le faire fusiller, lui et tous les auteurs de la capitulation. Bientôt, sur les remontrances du sage et toujours sage Cambacérès dit M. Thiers, et le premier emportement apaisé, il déféra à un tribunal d’honneur, composé des grands de l’Empire, le jugement de cette affaire. La sentence prononcée fut la dégradation, et un décret impérial ordonna que trois exemplaires manuscrits de la procédure tout entière seraient déposés, l’un au Sénat, l’autre au Dépôt de la guerre, le troisième aux Archives de la haute Cour impériale. Lorsqu’en 1814 la Restauration, trouvant le général Dupont en prison, en eut fait un ministre de la guerre, celui-ci travailla à anéantir toute trace de cette douloureuse procédure ; mais il n’en put faire détruire que deux exemplaires, celui du Sénat et celui du Dépôt de la guerre. Le troisième exemplaire, destiné à la haute Cour impériale (laquelle ne fut jamais organisée), était resté aux mains de M. Regnault de Saint-Jean-d’Angely. C’est cet exemplaire, désormais unique, que M. Thiers a connu, et qui lui a permis d’offrir du général Dupont la seule réhabilitation possible, celle qui concerne son honneur militaire. Ainsi le malheureux général, sans s’en douter, voulait anéantir la seule preuve qui pût mettre hors de cause sinon son habileté en ce désastre, du moins son honneur[1]. J’ai quelquefois entendu M. Thiers causer avec feu de cette affaire du général

  1. Mme la comtesse Dupont, veuve du général, a voulu contester l’exactitude de ces faits ; M. le maréchal Dode, je ne sais pourquoi, l’a essayé également. M. le général Pelet, directeur du Dépôt de la guerre, est spontanément intervenu dans ce débat pour confirmer les assertions de l’historien et nos explications. On peut voir là-dessus le Constitutionnel des 7 et 11 janvier 1850.