Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/17

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ment, mais on le suspend dans les occasions où il nous gêne ; on a le sentiment des ridicules, mais on l’étouffe sous une certaine chaleur d’enthousiasme qui séduit. On se jette en avant, on s’engage, on est en peine ensuite pour revenir. M. Saint-Marc Girardin n’a jamais fait ainsi ; il a été frappé à première vue des défauts, des travers, des ridicules du temps, et il les a raillés, il en a badiné avec un côté de raison sérieuse et piquante ; il a tiré parti de tout ce qu’il voyait, de tout ce qu’il lisait, pour se livrer au jeu auquel son esprit se complaît surtout et excelle, pour moraliser.

Le titre, le sujet de son Cours, est la poésie française. Il s’est bien gardé de prendre ce mot dans le sens qu’un amateur des modernes lui eût probablement donné. La poésie lyrique, cette branche heureuse qui fait le plus d’honneur aux grands talents de notre âge, l’a très-peu occupé. Il dirait volontiers avec ce personnage de Montesquieu, dans les Lettres persanes : « Voici les poëtes dramatiques, qui, selon moi, sont les poëtes par excellence et les maîtres des passions… Voici les lyriques, que je méprise autant que j’estime les autres, et qui font de leur art une harmonieuse extravagance. » Il y a là, certainement, une lacune dans la manière dont M. Saint-Marc Girardin entend et présente la poésie. Avec son esprit et son habileté, il dissimule cette lacune du mieux qu’il peut. Mais il a beau faire, l’absence d’amour et de foyer se fait sentir sur un point. Il n’aime pas la poésie pure, la poésie à l’état de rêve ou de fantaisie. Jeune, il l’aimait encore moins, s’il est possible. Quand j’ai dit qu’il n’avait jamais eu de passion et d’excès, je me suis trop avancé : il a eu, à un moment, un excès de raison ; cette poésie lyrique, alors toute jeune et florissante, il la niait, il la raillait, s’il nous en souvient, et ne la notait au passage qu’avec ironie.