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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/207

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Lundi 24 décembre 1849.

ADRIENNE  LE  COUVREUR.

Il y a des noms qui vivent et dont on peut parler à chaque instant comme d’une chose présente. Prononcez le nom d’Héloïse, de La Vallière, chacun les connaît et pourtant est curieux d’en entendre parler encore. On désire, on espère toujours en apprendre quelque chose de plus. De l’éclat, du roman, une destinée d’émotion, de dévouement et de tendresse, un touchant malheur, voilà ce qui attache à ces poétiques figures, et ce qui, une fois transmises et consacrées, leur procure dans l’imagination des âges un continuel rajeunissement. Il se forme à leur sujet comme une légende qui ne meurt plus. Si l’on savait où est leur tombeau, on irait volontiers tous les ans en renouveler avec piété la couronne. Il en est un peu de même d’Adrienne Le Couvreur. Les raisons en sont assez confuses ; nous tâcherons ici d’en démêler quelques-unes. Elle est la première actrice en France qui ait eu à la fois de l’éclat sur la scène et de la considération dans la société. Elle a été aimée du plus brillant guerrier de son temps ; elle a inspiré au plus grand poëte d’alors sa plus touchante élégie. Le scandale public causé par le refus de sépulture dont elle fut l’objet, l’explication tragique et l’affreux soupçon qui ont couru au sujet de sa mort, ont répandu sur sa fin un intérêt mystérieux et ont fait d’elle une victime