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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/213

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franc et d’une inexorable justesse. Avant de se mettre à table, il pria Mlle Le Couvreur de réciter quelque morceau, reprit, en l’écoutant, son attitude de silence, et ne lâcha que deux ou trois fois son mot : « C’est bon, cela ! » Pressé sur ses raisons, il ne fit pas difficulté de les dire, et une longue amitié s’ensuivit, durant laquelle le philosophe modeste n’épargna pas d’utiles conseils, des conseils qui se rapportaient tous à la vérité, au naturel, à la propriété de l’expression. Il voulait qu’on ne donnât jamais aux mots que la valeur qu’ils doivent avoir dans la situation. De tels conseils trouvaient dans l’intelligence droite de Mlle Le Couvreur un fonds tout préparé.

Ce rôle de Du Marsais auprès de Mlle Le Couvreur est une moitié de celui que les auteurs de la pièce nouvelle attribuent à Michonnet ; et cela me fait souvenir que l’acteur qui remplit si excellemment ce rôle, M. Régnier, prépare lui-même, pour la publication prochaine dont j’ai parlé, une étude sur le talent et l’invention dramatique de Mlle Le Couvreur ; je n’en dirai donc pas ici davantage. Ce rôle de Michonnet est double : il y a en lui le conseiller vrai, sincère, désintéressé, ce que fut en réalité Du Marsais ; il y a de plus l’amoureux également vrai, sincère, dévoué jusqu’au sacrifice, et ce rôle-là, nous ne le trouvons pas moins rempli auprès de Mlle Le Couvreur par un autre de ses amis, par d’Argental.

Mlle Le Couvreur, dans sa première jeunesse, avait accueilli bien des adorateurs, dont on a droit de nommer quelques-uns, Voltaire par exemple. Celui-ci, parlant à Thieriot des vers que lui avait arrachés son indignation sur l’enterrement de la célèbre comédienne, ajoute que cette indignation, trop vive peut-être, est « pardonnable à un homme qui a été son admirateur, son ami, son amant, et qui, de plus, est poëte. » Voilà qui est clair. Mlle Le Couvreur avait eu deux filles qui vécurent : l’une,