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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/266

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voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ? Leurs vies en seroient plus longues ; les maladies en viendroient plus tard ; et leur mort en seroit plus regrettée et de plus de gens, et moins désirée… » L’équivalent de Tacite ne se trouve-t-il point dans ces passages, et dans tels autres où Commynes a des accents qui parfois rappellent ceux de Bossuet ? Après avoir mis en regard, par exemple, les malheurs qui frappèrent, vers le même temps, la maison de France et celle de Castille : « Et semble, dit-il, que Notre-Seigneur ait regardé ces deux maisons de son visage rigoureux, et qu’il ne veut point qu’un royaume se moque de l’autre. »

À partir de la mort de Louis XI, les Mémoires de Commynes perdent sensiblement en intérêt. Le récit de la conquête d’Italie, sous Charles VIII, et de la marche jusqu’à Naples, est obscur, diffus, sans ordre ; on a pu douter jusqu’à un certain point que cette partie des Mémoires fût, en effet, de lui. On voit bien que l’habile homme n’était pas là partout d’aussi près qu’ailleurs. Il reprend sa supériorité d’historien là où il assiste en personne, dans le détail des négociations de Venise et dans le récit de la bataille de Fornoue.

Je ne fais pas la biographie de Commynes. Elle était incomplète jusqu’à ce jour ; c’est le présent éditeur, Mlle Dupont, qui a le mérite d’en avoir éclairci les endroits obscurs. Un seul fait important est ici à noter : comme Bacon, Commynes, sur un point délicat, fut coupable et faible ; tous deux ont eu dans leur vie des taches du même genre, pour avoir trop aimé les biens. Mal enrichi par Louis XI, qui le combla des confiscations injustes faites sur la maison de La Trémouille, Commynes eut, après la mort de son maître, à purger ses comptes, et il ne rendit qu’à la dernière extrémité les dépouilles de l’innocent. Sa fortune politique ne se