Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’âme. Pour en sortir, préférez à tous les plaisirs des mœurs régulières et simples, des devoirs et des intérêts de tous les jours. Prenez un état, mariez-vous, ayez des enfants. Il n’est pas de démon, en effet, fût-ce même celui de la tristesse, qui ose affronter le voisinage des petits enfants. » C’est en ces termes, et bien mieux encore (car je suis forcé d’abréger), que M. Saint-Marc Girardin, depuis tantôt dix-huit ans, a prêché à la jeunesse le mariage, la régularité dans les voies tracées, l’amour des grandes routes : « Les grandes routes, s’écriait-il un jour, je n’en veux pas médire, je les adore. » J’ai dit qu’il a réussi en effet, trop réussi. La jeunesse, une partie de la jeunesse, est devenue positive ; elle ne rêve plus ; elle pense, dès seize ans, à une carrière et à tout ce qui peut l’y conduire ; elle ne fait rien d’inutile. La manie et la gageure de tous les René, de tous les Chatterton de notre temps, c’était d’être grand poëte ou de mourir. Le rêve des jeunes prudents aujourd’hui, c’est de vivre, d’être préfet à vingt-cinq ans, ou représentant, ou ministre. Le mal n’a fait que changer et se déplacer. C’est ce qui arrive de presque toutes les maladies de l’esprit humain qu’on se flatte d’avoir guéries. On les répercute seulement, comme on dit en médecine, et on leur en substitue d’autres. M. Saint-Marc Girardin, qui connaît si bien la nature humaine, le sait mieux que nous.