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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/305

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jourd’hui, à ceux qui vous lisent et qui vous chantent, à ceux aussi qui vous relisent. C’est parmi eux qu’il s’agit pour vous de se créer des amis fidèles, sincères, qui vous aiment pour vos belles qualités, non pour vos défauts ; qui ne vous admirent point par mode, et qui sauront vous défendre contre la mode un jour, quand elle tournera.

M. de Musset a débuté à l’âge de moins de vingt ans, et dès le début il a voulu marquer avec éclat sa séparation d’avec les autres poëtes en renom alors. Pour qu’on ne pût s’y méprendre, il se donna du premier jour un masque, un costume de fantaisie, une manière ; il se déguisa à l’espagnole et à l’italienne sans avoir vu encore l’Espagne et l’Italie : de là des inconvénients qui se sont prolongés. Je suis certain que, doué comme il l’était d’une force originale et d’un génie propre, même en débutant plus simplement et sans viser tant à se singulariser, il fût bientôt arrivé à se distinguer manifestement des poëtes dont il repoussait le voisinage, et dont le caractère sentimental et mélancolique, solennel et grave, était si différent du sien. Lui, il avait le sentiment de la raillerie que les autres n’avaient pas, et un besoin de vraie flamme qu’ils n’ont eu que rarement.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds, d’un adolescent,


a-t-il dit en se jugeant lui-même. M. de Musset fit donc ses enfances, mais il les fit avec un éclat, une insolence de verve (comme dit Régnier), avec une audace plus que virile, avec une grâce et une effronterie de page : c’était Chérubin au bal masqué jouant au don Juan. Cette première manière, dans laquelle on suivrait à la piste la veine des affectations et la trace des réminis-