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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/338

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et des effets y paraîtra trop tendu. L’auteur, à chaque crise décisive, ne se contente pas de l’expliquer, il déclare qu’elle n’aurait pu se passer autrement. Il lui est habituel de dire : « Il était trop tôt… il était trop tard… Dieu commençait seulement à exercer ses justices et à donner ses leçons (page 31). » Qu’en savez-vous ?

Restons hommes dans l’histoire. Montaigne, qui en aimait avant tout la lecture, nous a donné les raisons de sa prédilection, et ce sont les nôtres. Il n’aimait, nous dit-il, que les historiens tout simples et naïfs, qui racontent les faits sans choix et sans triage, à la bonne foi ; ou, parmi les autres plus savants et plus relevés, il n’aimait que les excellents, ceux qui savent choisir et dire ce qui est digne d’être su. « Mais ceux d’entre-deux (comme il les appelle) nous gâtent tout ; ils veulent nous mâcher les morceaux : ils se donnent loi de juger, et par conséquent d’incliner l’histoire à leur fantaisie ; car depuis que le jugement pend d’un côté, on ne se peut garder de contourner et tordre la narration à ce biais. » Voilà l’écueil, et un talent, même du premier ordre, n’en garantit pas. Du moins une expérience tout à fait consommée devrait en garantir, ce semble. Les hommes supérieurs qui ont passé par les affaires, et qui en sont sortis, ont un grand rôle encore à remplir, mais à condition que ce rôle soit tout différent du premier et que même ce ne soit plus un rôle. Initiés comme ils l’ont été au secret des choses, à la vanité des bons conseils, à l’illusion des meilleurs esprits, à la corruption humaine, qu’ils nous en disent quelquefois quelque chose ; qu’ils ne dédaignent pas de nous faire toucher du doigt les petits ressorts qui ont souvent joué dans les grands moments. Qu’ils ne guindent pas toujours l’humanité. La leçon qui sort de l’histoire ne doit pas