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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/341

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donner la suite et la fin. Mais, depuis février 1848, les vicissitudes qu’a subies dans sa direction la ci-devant Imprimerie royale ont réagi sur les destinées du livre magnifique, qui se trouve arrêté sans cause. Il serait temps que cette impression reprît et continuât. C’est un grand signe qu’une civilisation est remise à flot quand aucun ralentissement ne se fait sentir dans ces hautes études, qui sont le luxe et comme la couronne de l’intelligence.

Je voudrais ici, par manière de variété, donner quelque aperçu et du poëte et de l’œuvre. Il est bon de voyager quelquefois ; cela étend les idées et rabat l’amour-propre. On mesure plus au juste ce que c’est que la gloire, et à quoi se réduit ce grand mot. Les jours où l’on est trop entêté de soi-même et de son importance, je ne sais rien de plus calmant que de lire un voyage en Perse ou en Chine. Voilà des millions d’hommes qui n’ont jamais entendu parler de vous, qui n’en entendront jamais parler, et qui s’en passent. « Combien de royaumes nous ignorent ! » a dit Pascal. Ce Firdousi ou Ferdousi, par exemple, ce grand poëte qui, à première vue, nous étonne, et dont nous ne savons pas même très-bien comment prononcer le nom, est populaire dans sa patrie. Si jamais vous allez en Perse, dans ce pays de vieille civilisation, qui a subi bien des conquêtes, bien des révolutions religieuses, mais qui n’a pas eu, à proprement parler, de moyen-âge, et dans lequel certaines traditions se sont toujours conservées, prenez un homme d’une classe quelconque, et dites-lui quelques vers de Ferdousi : il y a chance, m’assure-t-on, pour qu’il vous récite de lui-même les vers suivants ; car les musiciens et chanteurs vont en redisant à plein chant des épisodes entiers dans les réunions, dans les festins. Le tempérament de ce peuple est tout poétique. Ce