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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/348

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Cette fière prédiction se trouve vraie de Ferdousi comme de Dante.

Après ce coup d’éclat, Ferdousi erra durant des années, cherchant une Cour où ne pût l’atteindre la colère du sultan. Enfin, croyant les choses apaisées et oubliées, il était revenu dans sa ville natale, lorsqu’un jour, passant par le bazar, il entendit un enfant réciter un vers sanglant de cette même satire qui avait couru le monde. Le vieillard en fut saisi brusquement et s’évanouit ; on le rapporta dans sa maison, où il mourut à l’âge de quatre-vingts ans. On l’enterra dans un jardin. Dans les premiers instants, le chef religieux de la ville refusa de lire les prières d’usage sur sa tombe, sous prétexte de cet ancien soupçon d’hérésie, et par crainte sans doute de déplaire au sultan. Mais bientôt se ravisant, et averti par la voix publique, il prétendit avoir vu en songe Ferdousi au ciel, revêtu d’une robe verte et portant au front une couronne d’émeraudes, et il se crut autorisé à lui payer le tribut qu’on accorde aux fidèles. Cependant le sultan Mahmoud avait reconnu son injustice, et il envoyait au poëte les cent mille pièces d’or qu’il lui devait, avec une robe d’honneur et des paroles d’excuse. Mais, comme pour le Tasse, ce tardif hommage arriva trop tard pour Ferdousi et ne rencontra qu’une tombe. Au moment où les chameaux chargés d’or arrivaient à l’une des portes de Thous, le convoi funèbre sortait par une autre. On porta les présents du sultan chez la fille de Ferdousi, qui, d’un cœur digne de son père, les refusa en disant : « J’ai ce qui suffit à mes besoins, et ne désire point ces richesses. » Mais le poëte avait une sœur qui se rappela le désir que celui-ci avait nourri dès l’enfance de bâtir un jour, en pierre, la digue de la rivière de Thous, pour laisser dans un bienfait public le souvenir de sa vie. Elle accepta la somme ; la