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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/354

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sous d’heureux auspices ; mais si les astres t’accordent un fils, attache-le à son bras, comme l’a porté son père… »

Là-dessus Roustem part au matin, monté sur son cheval Raksch ; il s’en retourne vers l’Iran, et, durant des années, il n’a plus que de vagues nouvelles de la belle Tehmimeh et du fils qui lui est né ; car c’est un fils et non une fille. Ce fils est beau et au visage brillant ; on l’appelle Sohrab. « Quand il eut un mois, il était comme un enfant d’un an ; quand il eut trois ans, il s’exerçait au jeu des armes, et à cinq ans il avait le cœur d’un lion. Quand il eut atteint l’âge de dix ans, personne dans son pays n’osait lutter contre lui. » Il se distinguait, à première vue, de tous les Turcs d’alentour ; il devenait manifeste qu’il était issu d’une autre race. L’enfant, sentant sa force, alla fièrement demander à sa mère le nom de son père, et quand il le sut, il n’eut plus de cesse qu’il n’eût assemblé une armée pour aller combattre les Iraniens et se faire reconnaître du glorieux Roustem à ses exploits et sa bravoure.

Sohrab choisit un cheval assez fort pour le porter, un cheval fort comme un éléphant ; il assemble une armée et se met en marche, non pour combattre son père, mais pour combattre et détrôner le souverain dont Roustem est le feudataire, et afin de mettre la race vaillante de Roustem à la place de ce roi déjà fainéant. C’est ici que l’action commence à se nouer avec un art et une habileté qui appartiennent au poëte. La solution fatale est à la fois entrevue et retardée moyennant des gradations qui vont la rendre plus dramatique. Roustem, mandé en toute hâte par le roi effrayé, ne s’empresse point d’accourir. À cette nouvelle d’une armée de Turcs commandée par un jeune homme si vaillant et si héroïque, il a l’idée d’abord que ce pourrait bien être son fils ;