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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/361

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et Jeanne d’Arc ; car Jeanne ici, remarquez-le bien, n’est autre qu’une Jeanne d’Arc au repos et à qui l’occasion seule a manqué pour éclater. La placidité et la simplicité merveilleuse de la belle bergère en restent le plus souvent à la simplesse. Les scènes de la Fenaison offrent un tableau plein de charme et de grâce assurément, mais on y voit tout à côté cet éternel plaidoyer entre la société et la nature, entre les gens de loisir et les gens du peuple ou de labeur, ceux-ci ayant invariablement l’avantage. Jeanne présente de l’intérêt, un intérêt élevé, mais qui se complique de roman. C’est à la Mare-au-Diable seulement que commencent nos vraies géorgiques ; elles se continuent dans François le Champi, dans la Petite Fadette. Voilà la veine heureuse, voilà le thème où nous nous renfermerons ici.

La Mare-au-Diable est tout simplement un petit chef-d’œuvre. La préface m’avait donné quelques craintes. L’auteur met en avant une idée philosophique, et je tremble toujours quand je vois une idée philosophique servir d’affiche à un roman. L’ auteur a voulu faire la contre-partie d’une composition mélancolique d’Holbein, dans laquelle on voit un misérable attelage de chevaux traînant la charrue dans un champ maigre ; le vieux paysan suit en haillons ; la Mort domine le tout sous forme d’un squelette armé du fouet. « Nous, s’écrie l’auteur, nous n’avons plus affaire à la mort, mais à la vie ; nous ne croyons plus ni au néant de la tombe, ni au salut acheté par un renoncement forcé ; nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux… » Je supprime la série de ces Il faut, qui seraient mieux placés dans un de ces petits sermons philosophiques où ceux qui cherchent à