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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/365

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« — Oui, si la femme aime les enfants ; mais si elle ne les aime pas ? »

« — Est-ce qu’il y a des femmes qui n’aiment pas les enfants ? »

Mais voilà qu’au tournant d’un buisson la jument fait un écart. Qu’est-ce donc qu’on aperçoit dans le fossé ? Ce n’est autre chose que le petit Pierre, qui, voyant que son père ne voulait pas l’emmener, a pris les devants et qui, en l’attendant au passage, s’est endormi. La gronderie du père, la câlinerie de l’enfant, sa ferme volonté de ne plus lâcher prise et d’être du voyage, tous ces riens sont retracés au vif et relevés de mille grâces. Chaque trait naïf est pris sur le fait. La petite Marie sert de médiatrice ; elle arrange tout, elle montre les facilités. La Grise est solide et peut très-bien, à la rigueur, porter trois personnes, dont deux surtout pèsent si peu. Le petit Pierre sera devant, comme Marie est derrière. Cependant un cantonnier qui travaille là-bas, au haut de la route, ira avertir à la métairie pour qu’on ne soit pas inquiet du marmot. C’est Marie qui a pensé à ce cantonnier. Marie pense à tout, s’avise de tout. On sent que cette simple enfant porte en elle toutes les qualités de nature qui font que la femme prudente est la providence du foyer.

On devine déjà l’intention qui va présider à cette chaste aventure. Il faut que, sans le vouloir, sans que personne y vise, peu à peu, Germain soit amené à se dire : « Eh quoi ? je vais chercher bien loin une femme que je ne connais pas, qu’on dit riche, qui est fière sans doute, qui croira me faire grand honneur en m’épousant avec mes trois enfants ; et voilà que j’ai tout près de moi une enfant simple, pauvre, mais riche des dons de Dieu, des qualités et des vertus naturelles, et qui serait un trésor dans ma maison et dans mon cœur. » Il