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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/387

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man, il emportait la pièce. Ayant une fois pris à partie Mme de Genlis, il dit qu’on serait embarrassé de prononcer sur son sexe, qu’elle n’avait plus de sexe, ou quelque chose d’approchant. Ayant reçu cette bordée d’Hoffman, et une autre d’Auger, Mme de Genlis revint à demander pour juge M. de Feletz, qui du moins la piquait plus agréablement.

À part ce dernier mot, c’est à peu près là l’exact jugement que portait M. de Feletz sur des critiques qu’il avait si bien connus, et parmi lesquels lui-même il ne tenait pas la place la moins distinguée. Tout en rendant justice à Geoffroy, on sent que c’était celui dont il s’éloignait le plus par ses habitudes polies et par le ton. Hoffman était celui des trois auquel, évidemment, il accordait le plus, et c’est sur la même ligne qu’il aurait aimé sans doute à être rangé, au-dessus de Dussault, à qui, sans le dire expressément, il reconnaissait plus de forme que de fond, et plus d’acquis que d’esprit. Tout ceci, bien examiné, me paraît la justesse même.

Ce Geoffroy pourtant (j’y reviens) était une forte et vigoureuse nature. Il y a, pour la critique moderne des journaux, deux filiations, deux lignées distinctes : l’une honnête, scrupuleuse, impartiale, née de Bayle, l’autre, née de Fréron. Geoffroy sortait de cette derrière, mais il l’a singulièrement relevée, au moins à ses débuts, par l’audace énergique, fût-elle même un peu grossière, de son bon sens. C’est lui qui est, à proprement parler, le créateur du feuilleton des théâtres ; mais il abordait aussi toutes sortes de sujets. Je distingue, à l’origine, un article de lui sur Gil Blas. Il prend plaisir, en regard des romans exaltés et des inventions systématiques du jour, à rappeler ce livre tout naturel, qui résume la morale de l’expérience. À ces philosophes charlatans ou crédules, qui retraçaient à tout propos le tableau des pro-