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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/390

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mouvements de mon âme ; c’est le sentiment que j’éprouve qui me donne le ton : j’écris comme je suis affecté, et voilà pourquoi on me lit. » Il faut convenir que celui qui sent de la sorte, quand il vient à porter un coup juste, doit l’asséner vigoureusement.

Geoffroy manquait essentiellement de distinction, mais il ne manquait ni d’esprit, ni d’un certain sel. Il a volontiers le style gros, l’expression grasse, mais en général juste, saine. Quand il ne se laisse point détourner par la passion ni déranger par certains calculs, il dit des choses qui se retrouvent vraies en définitive ; il a raison d’une manière peu gracieuse, mais il a raison. Apprécions bien ce côté essentiel de la critique d’autrefois. Aujourd’hui il n’est pas rare de trouver, dans ceux qui s’intitulent critiques, du savoir, de la plume, de l’érudition, de la fantaisie. Donnez-leur un ouvrage nouveau, ils vont discourir à merveille sur le sujet ou à côté du sujet, développer leur esprit, se mettre en scène, vous conter leur humeur ou vous débiter leur science ; ils vous diront tout, excepté un jugement. Ils ont tout du critique, excepté le judicieux. Ils n’oseront se commettre jusqu’à dire : Ceci est bon, ceci est mauvais. Ceux mêmes qui seraient le plus faits pour être les oracles du goût, ont je ne sais quelle lâcheté dans le jugement. On s’ingénie, on se met en quatre pour ne pas avoir un avis franc. Or, c’est cet élément du judicieux que je trouve davantage (si je me reporte aux circonstances) dans les critiques de l’époque impériale.

On verra assez les défauts de Geoffroy, et j’ai surtout tenu ici à indiquer quelques-unes de ses qualités sans dissimuler le mélange. Il savait l’antiquité, ai-je dit ; il la savait sans finesse, sans mollesse ; et, en fait d’atticisme, il aurait eu à prendre leçon de son jeune collaborateur d’alors, M. Boissonade, si l’atticisme s’apprenait. Il a