Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux cadavres en style poétique. Son compagnon dressa les deux observations en style médical. Le tout revêtu de considérations et d’hypothèses, et augmenté des impressions de voyage, a fourni matière à un grand in-quarto.

Mais c’est aux Éloges académiques de Pariset que j’ai hâte de venir. Sa manière est large, facile, heureuse ; son talent comme son cœur a de l’effusion. Que ce soit Corvisart, Pinel, Dupuytren qu’il aborde, il les prend avec ampleur, il les pose dans leur cadre avec aisance, mais il ne les dessine pas assez rigoureusement. La distinction des physionomies n’est pas assez tranchée sous sa plume. Même sous les plis flottants d’une draperie, il faut qu’on sente toujours les lignes du nu. Chez Pariset, l’anatomie trop souvent fait défaut, même l’anatomie au moral : en peignant ses personnages, il n’a pas et ne rend pas assez le sentiment de la réalité. Il y a cependant des parties fines, des anecdotes très-bien contées, de petites scènes d’un effet dramatique. À propos de Pinel, par exemple, l’un de ceux qu’il a le mieux connus, et qui était tout l’opposé de lui, qui manquait essentiellement d’élocution et de faconde, Pariset caractérise en termes excellents « ce style coupé, sans liaisons, sans cohérence, dépourvu de grâce et de souplesse. Pinel voulait, nous dit Pariset, qu’à l’exemple de la botanique et de l’histoire naturelle, la médecine se fît un langage tout en substantifs, sans verbes, sans conjonctions. Il se flattait par là d’atteindre à l’énergique concision des aphorismes. Mais la concision n’exclut pas les liens communs de la parole ; et, faute de ces liens nécessaires, la phrase de Pinel, sèche et maigre, a quelquefois un mouvement heurté qui la rend fatigante. » Pariset nous montre Pinel qui, en professant, « disposait malaisément de ses idées, qui les détachait péni-