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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/425

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non aussi s’ennuyait, mais ce n’était pas de même ; c’était plus raisonnablement. Si je ne craignais de commettre un anachronisme de langage, je ne croirais pas en commettre un au moral, en disant qu’il y avait déjà en Mme Du Deffand de ce qui sera Lélia, mais Lélia sans aucune phrase.

Elle cherchait donc autour d’elle cette ressource qu’une femme trouve bien rarement en elle-même et en elle seule. Elle cherchait un autre ou plutôt elle ne le cherchait plus. Elle l’aurait vainement espéré dans la société où son regard inexorable ne voyait guère qu’une collection de ridicules, de prétentions et de sottises. Les hommes de Lettres de son temps, quand ils s’appelaient Voltaire, Montesquieu ou d’Alembert, l’amusaient assez, mais il n’y avait dans aucun d’eux de quoi pleinement la satisfaire ; leurs atomes et les siens ne s’étaient jamais accrochés qu’à demi. Elle avait eu un vif attrait d’esprit pour l’aimable Mme de Staal (de Launay) qu’elle perdit de bonne heure. Elle avait pourtant un ami vrai, Formont ; un ami d’habitude, le président Hénault, et assez de liaisons du monde pour combler une autre existence moins exigeante ; mais le tout ensemble ne suffisait au plus qu’à distraire la sienne. Dans un voyage de santé qu’elle fit aux eaux de Forges pendant l’été de 1742, elle écrivit plusieurs lettres au président Hénault et en reçut bon nombre de lui. On a cette Correspondance, qui est curieuse par le ton. Mme Du Deffand, à peine arrivée, attend les lettres du président avec une impatience qui ne se peut imaginer, et elle lui déduit les preuves de ce goût qu’elle a pour lui, de peur qu’il n’en ignore : « J’ai vu avec douleur que j’étais aussi susceptible d’ennui que je l’étais jadis ; j’ai seulement compris que la vie que je mène à Paris est encore plus agréable que je ne le pouvais croire, et que je serais infiniment