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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/448

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ajoutait-il, ses modulations suivaient les mouvements de son âme ; mais, dans les derniers temps de mon séjour à Paris, elle avait pris de l’aspérité, et on y démêlait l’accent agité et impérieux des factions. Je me suis toujours étonné qu’un homme qui avait tant de connaissance des hommes, eût pu épouser si chaudement une cause quelconque. » Ce dernier aveu, pour nous, est précieux, et nous retrouvons perpétuellement dans les Mémoires cette même indifférence qui était sincère dans l’Essai, mais qui, dans les Mémoires, est plutôt de la prétention à l’indifférence : « En dernier résultat, tout m’étant égal, je n’insistais pas, dit-il quelque part. En politique, la chaleur de mes opinions n’a jamais excédé la longueur de mon discours où de ma brochure. » Mais alors, si tout vous est indifférent, pourquoi épouser si chaudement une cause quelconque ? Nous touchons là à ces contradictions dont j’ai parlé, et qui sont pour beaucoup dans l’effet discordant des Mémoires.

Je reviens aux divers jugements littéraires qu’on y rencontre. Si M. de Chateaubriand ne traite pas mieux ses parents poétiques, Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, il n’a guère plus d’indulgence pour sa propre postérité, pour ses propres enfants en littérature. Il faut voir comme il se moque de ces jeunes novateurs auxquels il a communiqué, dit-il, la maladie dont il était atteint. « Épouvanté, j’ai beau crier à mes enfants : N’oubliez pas le français ! » Et voilà qu’il tourne ces malheureux enfants en caricature. Il n’a pas assez de raillerie pour la race des Renés qui sont sortis de lui ; il est allé jusqu’à écrire : « Si René n’existait pas, je ne l’écrirais plus ; s’il m’était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de Renés poëtes et de Renés prosateurs a pullulé ; on n’a plus entendu que des phrases lamentables et décousues… » Évidemment René ne