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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/452

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Est-ce un émigré complètement guéri des préjugés de l’émigration à qui nous avons affaire, et qui, en nous parlant de sa campagne de 92 pour les princes, la juge philosophiquement ? On serait tenté un moment de le croire, et même M. de Chateaubriand va, selon moi, trop loin quand il dit : « Nous étions bien stupides sans doute, mais du moins nous avions notre rapière au vent… » Cependant je tourne la page, et je vois qu’il semble prendre fait et cause pour l’émigration : « On crie maintenant contre les émigrés, dit-il ; à l’époque dont je parle, on s’en tenait aux vieux exemples, et l’honneur comptait autant que la patrie. » Encore un coup, avons-nous affaire à l’émigré convaincu et resté croyant à son droit, ou à l’émigré qui s’appelle lui-même stupide, et qui a l’air de se moquer de tout ce qu’il a enduré alors pour la plus grande gloire de la monarchie ? Entre ces deux inspirations, pour nous intéresser vraiment, il faudrait choisir.

Je dirai la même chose du royaliste en général, chez M. de Chateaubriand. Est-ce l’homme resté fidèle à ses affections du passé, qui nous parle en maint endroit de ces Mémoires, ou l’homme qui ne tient à son parti que par point d’honneur, et tout en trouvant bête (c’est son mot) l’objet de sa fidélité, et en le lui disant bien haut ? La contradiction de même est là, et elle se fait sentir dans l’impression générale.

Et le chrétien ! où est-il, et sommes-nous bien sûrs de l’avoir rencontré en M. de Chateaubriand, et de le tenir ? Il est vrai qu’il répète sans cesse : « Comme je ne crois à rien, excepté en religion… » Mais cette espèce de parenthèse, qui revient à tout propos et hors de propos, est trop facile à retrancher, et, si on la retranche, que découvre-t-on ? « Religion à part, dit M. de Chateaubriand (en un endroit où il parle de l’ivresse et