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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/476

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« Vous savez bien, écrivait-il à Mlle De Launay, que nous décidâmes l’autre jour que les chimères doivent avoir place parmi les projets des hommes… Croyez-moi, faites durer le charme au lieu de le faire cesser. La sagesse et la raison vont plus souvent à conserver d’aimables erreurs et à faire durer un attachement aussi vrai et aussi tendre que celui que j’ai pour vous, qu’à suivre une sèche et stérile vérité. Dès que le charme est fini, que devient l’opéra d’Armide, qu’un débris de palais détruit, une triste senteur de lampes qui s’éteignent ? »


Voilà le Chaulieu tel que nous le concevons et que nous l’aimons, celui qui, pour nous charmer, a besoin lui-même d’un peu de cette illusion qui nous dérobe l’arrière-fond de la scène et les coulisses de toutes choses. Au point de vue littéraire et poétique, il ne faudrait voir Chaulieu que de cette manière, tout à fait vieux, et devenu dès lors aussi tout à fait honnête homme, assis sous ses arbres de Fontenay ou à l’ombre de ses marronniers du Temple. Tel il brillait dans son cadre classique avant les révélations de Saint-Simon. La vieillesse, qui affaiblit d’ordinaire les talents, servit plutôt celui de Chaulieu. Au sein de la joie et des plaisirs, il avait rimé et chansonné mille folies aimables, chères à ses sociétés, mais aussi légères que l’occasion qui les faisait naître, et dont toute la grâce est dès longtemps évaporée. Quand vint la goutte et une demi-retraite, il éleva son âme, il affermit ses accents, et il en a trouvé quelques-uns du moins qui méritent de vivre. Quatre ou cinq pièces de lui seulement seraient à lire, et il y gagnerait : Fontenay, la Retraite, son Portrait à La Fare, quelques vers sur la goutte, quelques autres sur la mort, et puis c’est tout.

On ne sépare pas d’ordinaire La Fare de Chaulieu, et je ne voudrais pas non plus les séparer ici, car ils se complètent, et par des côtés plus dignes de réflexion qu’on ne suppose. Il y aurait à parler de La Fare assez