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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/66

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écrivait-elle à un homme qui l’aimait, je voudrais bien le faire sur l’idée que vous en avez conçue, et qu’on voulût s’en rapporter à vos descriptions ; mais il faut dire naïvement ce qui en est. J’avouerai que, sans être une grande beauté, je suis pourtant une des plus aimables créatures qui se voient ; que je n’ai rien dans le visage ni dans les manières qui ne plaise ni qui ne touche ; que, jusqu’au son de ma voix, tout en moi donne de l’amour, et que les gens du monde les plus opposés d’inclination et de tempérament sont d’un même avis là-dessus, et conviennent qu’on ne me peut voir sans me vouloir du bien.

« Je suis grande, j’ai la taille admirable et le meilleur air que l’on puisse avoir ; j’ai de beaux cheveux bruns faits comme ils doivent être pour parer mon visage et relever le plus beau teint du monde, quoiqu’il soit marqué de petite vérole en beaucoup d’endroits. J’ai les yeux assez grands ; je ne les ai ni bleus ni bruns ; mais, entre ces deux couleurs, ils en ont une agréable et particulière ; je ne les ouvre jamais tout entiers, et quoique, dans cette manière de les tenir un peu fermés, il n’y ait aucune affectation, il est pourtant vrai que ce m’est un charme qui me rend le regard le plus doux et le plus tendre du monde. J’ai le nez d’une régularité parfaite. Je n’ai point la bouche la plus petite du monde, je ne l’ai point aussi fort grande.

« Quelques censeurs ont voulu dire que, dans les justes proportions de la beauté, on pouvait me trouver la lèvre du dessous un peu trop avancée. Mais je crois que c’est un défaut qu’on m’impute, pour ne m’en avoir pu trouver d’autres, et que je dois pardonner à ceux qui disent que je n’ai point la bouche tout à fait régulière, quand ils conviennent en même temps que ce défaut est d’un agrément infini et me donne un air très-spirituel dans le rire et dans tous les mouvements de mon visage. J’ai enfin la bouche bien taillée, les lèvres admirables, les dents de couleur de perle, le front, les joues, le tour du visage beaux, la gorge bien taillée, les mains divines, les bras passables, c’est-à-dire un peu maigres ; mais je trouve de la consolation à ce malheur par le plaisir d’avoir les plus belles jambes du monde. Je chante bien, sans beaucoup de méthode ; j’ai même assez de musique pour me tirer d’affaire avec les connaisseurs. Mais le plus grand charme de ma voix est dans sa douceur et la tendresse qu’elle inspire ; et j’ai enfin des armes de toute espèce pour plaire, et jusques ici je ne m’en suis jamais servie sans succès.

« Pour de l’esprit, j’en ai plus que personne ; je l’ai naturel, plaisant, badin, capable aussi des grandes choses, si je voulais m’y ap-