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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/86

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en retrouvait pourtant aussi quelque note heureuse dans les souvenirs du pont des Arts et du quai Conti. Quant aux grandes scènes finales de l’arbre de Saint-Cloud, autrement dit l’Arbre de l’Adoration, et aux promenades dans le parc de Mousseaux, j’y suis peu sensible ; elles rentrent dans ce nouveau système d’amour, qui consiste à identifier Julie avec la nature et avec Dieu, à faire de tous les trois un mélange qui semble tenir à la présente religion de l’auteur, et qui appartient peut-être à la future religion du monde. Je n’en suis pas là encore. Pour ne parler que littérature, dans toutes ces pages et dans cent autres, l’auteur abuse démesurément des harmonies, des images champêtres, de la verdure, des murmures et des eaux. Un critique éminent, M. Joubert, parlant de ces défauts, bien moins développés, mais déjà sensibles, chez Bernardin de Saint-Pierre, disait : « Il y a dans le style de Bernardin de Saint-Pierre un prisme qui lasse les yeux. Quand on l’a lu longtemps, on est charmé de voir la verdure et les arbres moins colorés dans la campagne qu’ils ne le sont dans ses écrits. Ses harmonies nous font aimer les dissonances qu’il bannissait du monde, et qu’on y trouve à chaque pas. La nature a bien sa musique, mais elle est rare heureusement. Si la réalité offrait les mélodies que ces messieurs trouvent partout, on vivrait dans une langueur extatique, et l’on mourrait d’assoupissement. »

Je finis sur cette remarque d’un critique qu’on n’accusera certes pas de sécheresse ni d’insensibilité pour la poésie : c’est aux lecteurs avertis de voir si elle ne s’applique pas, à plus forte raison, à la manière de plus en plus immodérée de M. de Lamartine.