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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/88

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et brillant d’une cause ; mais tous ses développements d’alors roulent sur deux ou trois idées absolues, opiniâtres, presque fixes : il défend la Pologne, il attaque l’Université, il revendique une liberté illimitée pour l’enseignement ecclésiastique, pour les Ordres religieux ; il a deux ou trois grands thèmes, ou plutôt un seul, la liberté absolue. Ce thème est pour lui un point de foi, un sujet de conviction : aussi son éloquence n’est-elle point celle d’un avocat, mais d’un croyant, d’un lévite armé, ou mieux d’un Croisé qui aurait reçu le don du bien dire. Il me semble, en chaque question, le voir marcher tout droit devant lui contre l’adversaire, glaive en main et cuirasse au soleil. J’admire et j’applaudis de grand cœur avec la noble Chambre d’autrefois ce qu’il y a de jeune, de brillant, d’aventureux dans ce tournoi à outrance ; ce sont des exploits de tribune ; mais je me demande quels pouvaient être les résultats. Ce n’est que depuis 1848 que M. de Montalembert, acceptant la leçon des événements, a cessé d’être un orateur de parti pour se montrer un orateur tout à fait politique. Jusque-là on l’admirait, et, à moins d’être étroitement de son parti, on ne le suivait pas. Maintenant, de quelque côté qu’on vienne, on le suit volontiers ; on accepte non pas seulement la vibration et l’éclat, mais le sens de ses nobles paroles. Il a cessé de voir les questions par un seul aspect ; il unit deux choses contraires, il combine. Il n’a pas perdu ses convictions, mais il consent à entrer dans celles des autres, à compter et à composer avec elles. De là un effort et un frein auquel son éloquence elle-même ne peut que gagner. Il est trop aisé et trop simple de n’obéir qu’à un seul souffle direct, impétueux ; le beau de la force humaine est de se contenir, de se diriger entre des impulsions diverses et d’assembler sous une même loi les contraires. « On ne montre