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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/92

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lice, je l’ai dit, avec une idée absolue. Tout enfant, il avait fait contre l’Université le serment d’Annibal, et il lui avait juré haine et guerre éternelle. Ce fut là, durant dix-huit ans, sa conclusion réitérée et acharnée, son Delenda Carthago, comme pour Caton. Il avait retourné le mot de Voltaire, et il s’écriait, lui aussi : Écrasons l’infâme ! En écrasant l’Université, c’était, en effet, l’ennemie mortelle du christianisme, c’était le séminaire de l’incrédulité qu’il prétendait exterminer. Très-frappé des pertes graduelles, croissantes, que faisait la foi catholique au sein des jeunes générations, et qui proviennent de tant de causes combinées, M. de Montalembert, pour couper court au mal, crut qu’il fallait en dénoncer toute l’étendue, et marquer au vif la séparation entre la partie saine et celle qui, selon lui, ne l’était pas. Il s’attacha, en conséquence, à ranger en bataille l’armée des catholiques, à la discipliner et à la morigéner, à l’épurer et à la compter, au risque de la diminuer, sinon de l’amoindrir ; il supprima les neutres. Jusque-là, en France, tout homme qui ne disait pas : Je ne suis point catholique, était censé l’être. Il s’attacha à montrer que la plupart de ces gens-là n’étaient point des alliés pour lui, mais plutôt pour l’ennemi. Il tendit d’une manière tranchée à instituer le duel entre ce qu’il appelait les fils des Croisés et les fils de Voltaire. En répétant sans cesse : Nous autres catholiques, au lieu de dire : Nous tous catholiques, comme on faisait auparavant ; en se représentant lui et les siens comme dans un état d’oppression criante et d’isolement, il donna à penser que le catholicisme en France pourrait n’être bientôt plus qu’un grand parti, une grande secte. J’honore cette franchise, je respecte cette foi de Polyeucte, qui repousse les tièdes, et qui, forte d’un espoir supérieur, réclame le combat, même inégal, sans douter de la victoire ; mais, politi-