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Page:Sainte-Beuve - Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire, tome 1.djvu/7

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la vie sociale en France. Pour moi, pendant ces années, que je puis dire heureuses, j’avais cherché et j’avais même assez réussi à arranger mon existence avec douceur et dignité écrire de temps en temps des choses agréables, en lire et d’agréables et de sérieuses, mais surtout ne pas trop écrire, cultiver ses amis, garder de son esprit pour les rotations, de chaque jour et savoir en dépenser sans y regarder, donner plus à l’intimité qu’au public, réserver la part la plus fine et la plus tendre, la fleur de soi-même, pour le dedans, jouir avec modération, dans un doux commerce d’intelligence et de sentiment, des saisons dernières de la jeunesse ainsi se dessinait pour moi le rêve du galant homme littéraire qui sait le prix des choses vraies, et qui ne laisse pas trop le métier et la besogne empiéter sur l’essentiel de son âme et de ses pensées. La nécessité depuis m’a saisi et m’a contraint de renoncer à ce que je considérais comme le seul bonheur ou la consolation exquise du mélancolique et du sage.

Qu’il est loin, qu’il est à jamais évanoui ce temps meilleur, orné d’étude et de loisir, où, dans un monde d’élite, une amie irréparable me disait, glissant sous l’éloge un conseil charmant : « Si vous tenez à l’approbation de certaines gens, je vous réponds que l’on tient à la vôtre. Mais voilà ce qui est bon, ce qui est doux entre gens qui s’estiment, tenir à l’approbation morale jusqu’à concurrence de son indépendance, vouloir plaire et rester libre ; c’est le moyen de bien faire. » J’avais accepté la devise, et je me promettais d’y être fidèle dans tout ce que j’écrirais ; mes productions de ces années s’en ressentirent peut-être mais je m’aperçois que je m’oublie, et je reviens.

Quoi qu’il en soit, du moment que j’étais décidé, à re-