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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/155

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DE JOSEPH DELORME.

mot profond, quand il échappa à l’illustre professeur, était accompagné de ce demi-sourire socratique qui fait justice d’avance des moqueurs et de tous les gens d’esprit qui ne comprennent pas. Dans ce que nous écrivons, il y a toujours et presque nécessairement les trois quarts d’inexact, d’un incomplet qui a besoin de correctif, et qui donne beau jeu aux lecteurs de mauvaise volonté. Mais qui est-ce qui écrit pour les lecteurs de mauvaise volonté ?


III

Dans toutes les querelles littéraires du temps, M. de Chateaubriand est hors de cause ; et ce n’est pas là seulement un pur hommage rendu à l’illustre écrivain, c’est une justice. En répandant ses fécondes et salutaires influences sur tout le siècle, M. de Chateaubriand a mérité, pour mille raisons, de n’être pas plus spécialement adopté par certaine classe d’esprits que par certaine autre. Chacun l’admire à sa façon, et trouve pour ainsi dire son compte avec lui. Tout ce qu’il y a de jeune et de distingué se ressent de sa présence, et s’anime à quelques-uns de ses rayons. Avec Bonaparte, M. de Chateaubriand ouvre le siècle et y préside ; mais on ne peut dire de lui, non plus que de Bonaparte, qu’il ait fait école[1].

Il n’en est pas ainsi d’André Chénier ni de madame de Staël ; et, à vrai dire, l’ancien parti classique étant définitivement ruiné, c’est entre les disciples ou plutôt les successeurs de ce jeune poëte et ceux de cette femme célèbre que s’agite la que-

  1. On voit avec quelle déférence et quelle révérence la jeune école romantique traitait M. de Chateaubriand, et comme elle s’efforçait de le mettre à l’aise à son égard. Il n’en a pourtant jamais su prendre son parti et n’a pu s’accommoder de cette génération de poëtes qui n’attendaient qu’un signe de lui, le grand aïeul, pour le saluer de plus près.