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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/174

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PENSÉES

rables du sentiment qui les inspire. Fleuris à l’ombre du gynécée, ils se faneraient dans les arguments des écoles ; et cette gloire discrète, encore tempérée de mystère, est, à mon sens, la plus belle pour une femme poëte.


XIV

La critique littéraire, comme la politique, a inventé de nos jours je ne sais quel système de balance et de bascule qui consiste à rétrograder après s’être avancé, à défaire après avoir fait. Il y a assez longtemps que je loue Shakspeare, se dit un matin la Critique ; il est urgent de faire une réaction pour Racine. Et la voilà qui nous apprend comme une découverte toutes les belles qualités du poëte ; qu’il est pur, jamais enflé, d’une merveilleuse souplesse dans le mouvement du style. Grand merci, sans doute, de l’avertissement officieux ! Il est bon de ne pas tout à fait oublier ces sortes de choses, quoique M. de La Harpe les ait répétées après Voltaire, il y a une trentaine d’années. Si du moins c’était là tout ! si l’on s’en tenait à Racine ! si même on allait seulement jusqu’à défendre le style équivoque des tragédies de Voltaire ! il n’y aurait trop rien à redire, sinon : à quoi bon ? et qu’en voulez-vous conclure ? Mais la manie des réactions, qui est une véritable maladie de l’esprit critique, ne s’arrête pas en si bon train ; si je devine bien, et à en juger par quelques vagues symptômes, Delille, l’abbé Delille lui-même et son école sont à la veille d’une sorte de réhabilitation ; l’on se dira, comme une remarque toute neuve : « Mais, après tout, il y a du bon chez cet abbé que vous méprisez tant ; vous êtes bien souvent descriptifs à sa manière, et il est bien souvent pittoresque à la vôtre. Imitez-le moins, ou estimez-le davantage. » Qu’il y ait du bon chez Delille, des traits heureux de pinceau, et, par exemple, quelque quatre ou cinq