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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/203

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DE JOSEPH DELORME.


INVOCATION


Sæpe venit magno fœnore tardus Amor.
Properce


Il est de l’amour comme de la petite vérole, qui tue d’ordinaire quand elle prend tard.
Bussy-Rabutin


Ils m’ont dit, ces mortels en qui toujours j’ai foi,
Ceux qui savent le Ciel et l’homme mieux que moi ;
Ces poëtes divins que le génie inspire
Et qu’au livre du cœur, dès l’enfance, il fait lire ;
D’Ossian, de Milton, jeune postérité,
Qui sans cheveux blanchis, sans longue cécité,
Introduits de bonne heure au parvis des cantiques,
Ont dans leur voix l’accent des vieillards prophètiques ;
Ils m’ont dit, me voyant dans mon âme enfermé,
Malade et dévoré de n’avoir point aimé,
Morne, les yeux éteints, frappant cette poitrine
D’où jamais n’a jailli la flamme qui la mine,
Et me plaignant au Ciel du mal qui me tuera :
« Enfant, relève-toi, ton heure sonnera !
« Va, si tu veux aimer, tu n’as point passé l’âge ;
« Si le calme te pèse, espère encor l’orage.
« Ton printemps fut trop doux, attends les mois d’été ;
« Vienne, vienne l’ardeur de la virilité,
« Et sans plus t’exhaler en pleurs imaginaires,
« Sous des torrents de feux, au milieu des tonnerres,
« Le cœur par tous les points saignant, tu sentiras
« Au seuil de la beauté, sous ses pieds, dans ses bras,
« Tout ce qu’avait d’heureux ton indolente peine
« Au prix de cet excès de la souffrance humaine.