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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/282

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POÉSIES


Moi, dès que le Printemps me point et me traverse
Avec ses mille dards et ses langues de feu,
Dès qu’il m’étale en chœur sa jeunesse diverse
Et ses gaietés où perce
Un seul et même jeu,

Quand tout renaît, je meurs ; Amour fait mon supplice ;
La vieille et tendre plaie est prompte à se rouvrir ;
Et je ne veux plus rien que le cruel délice,
Rien qu’un dernier calice
Pour y boire et mourir[1].


  1. Dans cette pièce, il n’y a que l’idée de plaisir ; j’aimerais mieux la pièce suivante, du même poëte, bien que je ne la trouve qu’en prose dans ses papiers :

    « En vain je me dis que je suis libre, que mon cœur n’est nulle part engagé ; que les douleurs mêmes, les pertes et la mort, m’ont fait de toutes parts solitaire et sans liens. En vain j’essaye, quand la nature renaît et qu’Avril rouvre toutes choses, de jouir encore d’un dernier printemps. À peine ai-je essayé, par ce gai soleil, Le long de la haie des lilas, de sourire à la beauté qui passe et repasse, et dont le regard vague et chercheur enhardit le mien ; à peine ai-je renoué ce jeu facile et gracieux qui de soi-même recommence : — tout d’un coup, sont-ce les Années, sont-ce les Souvenirs qui, par ces matinées si belles, s’élèvent comme de graves témoins autour de moi ? il me semble que j’offense des Mânes. »