Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
DE JOSEPH DELORME.

Si je ne chante plus, n’accusez pas la prose
D’étouffer ma chanson et ses trésors secrets.

D’autres chantent surtout pour verser l’harmonie,
Pour exhaler leur âme au sein de l’univers,
Parce qu’ainsi le veut un céleste Génie
Et que leur voix se joue aux glorieux concerts.

L’Hymne habite en leur sein et d’abord s’en élance ;
Leur cœur est toujours plein, le monde est encor beau :
S’ils se taisent longtemps, pourquoi donc ce silence ?
Qu’on leur dise : Chantez, comme on dit à l’oiseau,

Ils fêtent la nature, et j’y vois leur image :
Chaque âge d’elle abonde en retours infinis ;
Les plus jeunes ormeaux n’ont pas seuls le ramage,
Les chênes les plus vieux ont aussi plus de nids.

S’ils se taisent, ceux-là, que vite on les accuse ;
Mais moi, si j’ai cessé, puis-je en être blâmé ?
Ils chantent pour chanter, ces élus de la Muse :
Moi je chantais pour être aimé !


Envoi à madame Marie de S…

À Vous, ou Muse, ou Fée, et la Grâce elle-même,
Qui savez, souveraine en ce jeu de beauté,
Comme est un seul objet aimé, loué, chanté :
Mais savez-vous bien comme on aime ?