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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/307

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ET TÉMOIGNAGES.

autre, et Joseph Delorme ne se l’est pas associée par choix, mais, telle qu’elle est, il l’affectionne, et il s’est attaché à elle comme le naufragé à la planche qui le soutient. Nous allons citer les vers qu’il lui adresse et où il la dépeint sans flatterie. On trouvera d’ailleurs dans ce morceau la plupart des qualités et des défauts qui sont habituels à sa manière.


Ma Muse.
Non, ma Muse n’est pas l’odalisque brillante…

(Suit une citation se terminant par ces vers :)

Elle chante parfois ; une toux déchirante
La prend dans sa chanson, pousse en sifflant un cri,
Et lance les graviers de son poumon meurtri,
Une pensée encor la soutient ; elle espère
Qu’avant elle bientôt s’en ira son vieux père.
C’est là ma Muse, à moi, etc.

« Quel lecteur ne regrettera pas avec nous que ce morceau, d’ailleurs si original, soit déparé par ces derniers vers ? Nous aurions pu passer au poëte de nous montrer sa Muse pauvre, triste, mal vêtue ; mais pulmonique !… Ah ! grâce ! les sens sont un juge bien moins indulgent que la raison.

« Quant à la facture proprement dite, les vers de Joseph Delorme n’offrent rien de particulier. Ils portent dans toute la partie technique le cachet de la nouvelle école, qui est au moins autant l’école de M. Victor Hugo que d’André Chénier ; césure mobile, richesse de rimes, épithètes chromatiques et numériques, mètres savants et variés, rien ne leur manque ; ils sont d’ailleurs, le genre admis, d’une sévérité de forme religieuse, Seulement ici, comme en tout, l’auteur pèche quelquefois par excès. On pourrait citer tel passage où l’abus de la césure mobile ramène presque la monotonie qu’elle était destinée à prévenir. Au nombre des innovations ou plutôt des rénovations de pure forme, il faut compter le Sonnet, que Joseph Delorme affectionne particulièrement. Il s’en trouve parmi les siens quelques-uns de très-agréables ; mais d’autres, qu’il a eu la fantaisie un peu puérile de calquer sur ceux du seizième siècle, reproduisent avec une fidélité bien malheureuse l’affectation de cette époque. Nous renvoyons le lecteur à celui qui commence ainsi :

Sur un front de quinze ans, les cheveux blonds d’Aline…