Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
VIE DE JOSEPH DELORME


— Ainsi parlait Milton ; et ma voix plus sévère,
Par degrés élevant son accent jusqu’au sien,
Après lui murmurait : « Oui, la France est ma mère,
Et le poète est citoyen. »


Tout ce discours de Milton révèle assez quelle fièvre patriotique fermentait au cœur de Joseph, et combien les souffrances du pays ajoutèrent aux siennes propres, tant que la cause publique fut en danger. C’était le seul sentiment assez fort pour l’arracher aux peines individuelles, et il en a consacré, dans quelques pièces, l’expression amère et généreuse. Plus d’un motif nous empêche, connue bien l’on pense, d’être indiscret sur ce point. À une époque d’ailleurs où les haines s’apaisent, où les partis se fondent, et où toutes les opinions honnêtes se réconcilient dans une volonté plus éclairée du bien[1], les réminiscences de colère et d’aigreur seraient funestes et coupables, si elles n’étaient avant tout insignifiantes. Joseph le sentait mieux que personne. Il vécut assez pour entrevoir l’aurore de jours meilleurs, et pour espérer en l’avenir politique de la France. Avec quel attendrissement grave et quel coup d’œil mélancolique jeté sur l’humanité, sa mémoire le reportait alors aux orages des derniers temps ! En nous parlant de cette Révolution dont il adorait les principes, et dont il admirait les hommes, combien de fois il lui arrivait de s’écrier avec lord Ormond dans Cromwell :

Triste et commun effet des troubles domestiques !
À quoi tiennent, mon Dieu, les vertus politiques ?
Combien doivent leur faute à leur sort rigoureux,
Et combien semblent purs qui ne furent qu’heureux !

Et qu’il enviait un divin poète d’avoir pu dire, parlant à sa lyre tant chérie ;

Des partis l’haleine glacée
Ne t’inspira point tour à tour ;
Aussi chaste que la pensée,

  1. Ceci s’écrivait sous le ministère Martignac.