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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/398

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LES CONSOLATIONS.

Rêves d’or ! bonheur d’ange ! — Ô jeune fille aimée,
Ces rapides lueurs n’étaient qu’ombre et fumée.
Ta mère est repartie au bout de quelques mois,
Et je ne t’ai depuis vue une seule fois
Ta grand’mère a heurté sur sa pierre fatale,
Et moi je suis sorti de ma ville natale ;
J’ai pleuré, j’ai souffert, et l’âge m’est venu.
J’ai perdu la fraîcheur et le rire ingénu
Et les vertus aussi de ma pieuse enfance.
Ton frêle souvenir m’a laissé sans défense ;
Et tandis que croissant en sagesse, en beauté,
À l’ombre, loin de moi, ta verte puberté
Sous les yeux de ta mère est lentement éclose,
Et qu’un espoir charmant sur ta tête repose,
J’ai voulu trop connaitre, et mes jours sont détruits ;
De l’arbre avant le temps, j’ai fait tomber les fruits ;
J’ai mis la hache au cœur et j’en sens la blessure ;
Et tout ce qui console une âme et la rassure,
Et lui rend le soleil quand l’orage est passé,
Redouble encor l’ardeur de mon mal insensé.
Toi-même que je crois si bonne sous tes charmes,
Toi dont un seul regard doit sécher tant de larmes,
Quand un hasard m’envoie à ta porte m’asseoir,
Passant si près de toi, j’ai peur de te revoir.
Car, si tu me voyais, si ton âme incertaine,
S’interrogeant longtemps, ne retrouvait qu’à peine
Dans ces traits sillonnés, sous ce front nuageux.
Cet ami d’autrefois, compagnon de tes jeux ;
Si de moi tu perdais, venant à me connaître,
Le souvenir doré que tu gardes peut-être ;
Si, voulant ressaisir dans tes yeux bleus mouillés
L’image et la couleur de mes jours envolés,
J’y rencontrais l’oubli serein et sans nuage,
Si ta bouche n’avait pour moi que ce langage