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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/464

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PENSÉES D’AOÛT.

Infirme plus que vieille, assez accoutumée
À l’aisance, aux douceurs, et dont le mal réel
Demandait pour l’esprit éveil continuel.
Il la soigna longtemps, et lui, l’épargne même,
Pour adoucir les soirs de la saison suprême,
N’eut crainte d’emprunter des sommes par deux fois,
S’obérant à toujours ; mais ce fut là, je crois,
Ce qui, sa mère morte, a soutenu son zèle
Et prolongé pour lui le but qui venait d’elle :
Car, à cet âge, avec ces natures, l’effort
Souvent manque, au dedans s’amollit le ressort ;
Le vrai motif cessant, on s’en crée un bizarre,
Et la source sans lit dans les cailloux s’égare.
Doudun, que maint caillou séduit, s’en est sauvé ;
Le soin pieux domine, et tout est relevé.

En plein faubourg, là-haut, au coin de la mansarde,
Dans deux chambres au nord, que l’étoile regarde ;
À cinq heures rentrant ; ou l’été, matinal ;
Un grand terrain en face et le triste canal[1]
(Car, presque chaque jour allant au cimetière,
Il s’est logé plus près), voyez ! sa vie entière,
Son culte est devant vous : un unique fauteuil
Où dix ans s’est assis l’objet saint de son deuil,
Un portrait au-dessus ; puis quelque porcelaine
Où la morte buvait, qu’une fois la semaine
Il essuie en tremblant ; des Heures en velours
Où la morte priait, dont il use toujours !
Le maigre pot de fleurs, aussi la vieille chatte :
Piété sans dédain, la seule délicate !
Comme écho de sa vie, il se dit à mi-voix
Quelque air des jours anciens qui voudrait le hautbois,

  1. Probablement le canal Saint-Martin, du côté du Père La Chaise.