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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/419

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LIVRE DEUXIÈME.

ces manuscrits on peut juger avec quelle piété ! Ils en peignaient l’écriture dans ce même esprit avec lequel mademoiselle Boullongne peignait ses dessins et vignettes de sainteté. La plupart des écrits de Port-Royal, les Relations, le Nécrologe, les Mémoires de Lancelot, de Fontaine, de Du Fossé, beaucoup de lettres de M. de Saint-Cyran et de leurs autres pères spirituels, n’ont été imprimés et publiés qu’en plein dix-huitième siècle ; et c’est même ce qui explique le peu de connaissance qu’on en a généralement, tout cet affluent précieux n’étant pas entré en son temps dans le grand courant de la littérature, et celle-ci, déjà toute contraire, ne l’ayant accueilli ni senti le moins du monde lorsqu’il s’y versa. En attendant que ces manuscrits fussent imprimés, ce que mille raisons retardaient et pouvaient bien longtemps interdire, on en multipliait sous main des copies soigneusement faites[1]. M. de Séricourt fut un des premiers solitaires qui s’y appliqua ; au milieu de ses austérités,

  1. Lors de la destruction de Port-Royal, les manuscrits trouvés dans le monastère passèrent, par la condescendance du lieutenant de police D’Argenson, entre les mains de mademoiselle de Joncoux (l’auteur de la traduction française des notes de Wendrock). Cette personne zélée fit prendre des copies nouvelles de ces papiers, et légua les originaux à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, au nombre de soixante et douze volumes de tout format. La Bibliothèque du Roi en possède une bonne partie. — L’esprit qui présidait à ce travail de copiste chez nos gens de Port-Royal est parfaitement rendu dans une lettre de M. Vuillart, un des amis de la fin ; comme il envoyait à l’un de ses correspondants, plus riche que lui, la copie d’une relation qu’il jugeait de nature à l’intéresser et à l’édifier, il ajoutait (12 juin 1698) : «Un bon serviteur de Dieu, qui a la main bonne, qui copie correctement, trouve une partie de sa subsistance à copier ainsi. Je lui ai procuré quelques pratiques ; je les multiplie autant que je puis, considérant la main des personnes qui le récompensent de son petit travail, comme la main de la Providence même à son égard. Quatre ou cinq sols pour une copie comme celle-ci est peu pour chaque particulier ; et quand cela est multiplié cinq ou six fois, cela contribue considérablement à faire vivre l’ouvrier, cujus res angusta… C’est un solitaire qui aime sa solitude, qui