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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/118

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PORT-ROYAL.

son esprit, elle étoit réservée, mais très-juste dans ses décisions.[1] Ses sentiments étoient pleins de noblesse ; fiers à outrance, quand il en étoit question. Cependant elle étoit moins prévenue sur son mérite qu’on ne l’est d’ordinaire quand on en a tant. Faite comme on vient de le dire, elle ne pouvoit manquer de se faire aimer ; mais, loin de le chercher, elle étoit difficile sur le mérite de ceux qui pouvoient y prétendre. » Le chevalier de Grammont y réussit.

Mademoiselle Hamilton, malgré les élégances, les gaietés et les malicieuses espiègleries d’alors, malgré les pièces qu’elle fait aux personnes ridicules de la Cour, à mademoiselle Blague et à sa propre cousine madame de Muskry[2] ; mademoiselle Hamilton, bien qu’elle eût pu paraître en de si affreux dangers à la mère Angélique, et que, comtesse de Grammont, elle n’ait peut-être pas évité ces dangers près de Louis XIV, sauva toutefois et garda finalement, à travers quelques naufrages, la religion dans son cœur. On la voit, bien des années après, allant aux Eaux de Forges et y recherchant Du Fossé qui demeure près de là : « Nous trouvâmes, dit celui-ci, qu’il y avoit plus à gagner qu’à perdre dans la conversation de cette dame. Elle avoit été autrefois élevée à Port-Royal, et elle n’a jamais rougi, au milieu de la Cour même, de parler dans les occasions pour justifier cette maison dont elle connoissoit par elle-même la solide piété aussi bien que nous. » On retrouvera une de

  1. N’est-ce pas là, trait pour trait, les qualités d’esprit voulues par Port-Royal, bien qu’ici d’un usage un peu transposé ?
  2. Femme de son cousin-germain et belle-sœur probablement d’Hélène de Muskry qu’on trouve dans la liste du noviciat de Port-Royal en 1661. C’est de madame de Muskry, laide, boiteuse et à prétentions, qu’Hamilton dit si plaisamment : « Un visage assortissant mettoit la dernière main au désagrément de sa figure. » Mademoiselle Hamilton lui joua le tour de la faire déguiser en Babylonienne pour le bal de la reine.