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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/139

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LIVRE DEUXIÈME.

a combattu durant dix ou douze ans,[1] y mêlant en même temps les chimères des Thomistes que M. d’Ypres avoit voulu éviter ; ce que M. de Barcos n’a jamais pu approuver, se croyant trop bien informé des intentions de M. d’Ypres et de son oncle pour les abandonner dans un point de cette importance.… »

En ce qui est des Thomistes, il nous est bien clair, d’après les citations précédentes de Jansénius, que tout ce qui était de leur méthode lui semblait à répudier. Et c’est ce que ne firent ni Arnauld dès qu’il fut livré à lui-même, ni Pascal en ses Provinciales, où il reçut le mot d’ordre théologique d’Arnauld. Ils songeaient avant tout à grossir leur groupe, et tour à tour, selon le jeu du moment, à gagner comme alliés ou à piquer comme faux-frères cette portion de théologiens thomistes, ces estimables Dominicains surtout, qui inclinaient au fond pour eux contre les Jésuites, mais qui n’osaient se prononcer.[2]

  1. La tactique du second Jansénisme consistait à dire à l’autorité romaine : « Vous condamnez les cinq Propositions dogmatiquement, et nous aussi ; nous nous soumettons au droit ; mais sont-elles en fait dans Jansénius ? Vous le dites, et jusqu’à plus ample informé nous en doutons. » Lancelot, dans l’idée de Saint-Cyran, eût voulu qu’on dît : « Que les Propositions soient ou non dans Jansénius, c’est secondaire ; l’essentiel est qu’elles sont dans saint Augustin ; nous le prouvons, et c’est ce saint docteur (sachez-le bien que vous condamnez en les condamnant. »
  2. Pascal d’ailleurs varia sur ce point pendant la durée même des Provinciales. Plus tard, lorsqu’il eut davantage approfondi la question, je crois qu’il en revint à quelque chose de très approchant de la conviction de Jansénius, de Saint-Cyran et de M. de Barcos, contrairement aux expédients polémiques. Arnauld n’en sortit jamais. Dans une lettre qu’il adressait à M. Denis de La Barde, évèque de Saint-Brieuc (l5 décembre 1655), on peut voir combien il répugnait peu, au besoin, à faire profession de Thomisme, à accepter les distinctions subtiles des deux grâces des justes, et même la grâce suffisante qui ne suffit pas : « Je reconnois avec ce saint (saint Thomas) que le juste a toujours le pouvoir d’observer les commandements de Dieu, qui lui est donné par la