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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/265

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LIVRE DEUXIÈME.

Aussitôt on court au château en avertir M. d’Andilly, qui, n’étant pas accoutumé à recevoir de ces sortes d’hôtes, vient fort échauffé trouver ces messieurs, les interroge de leur ordre, s’étonne qu’on lui ait voulu causer ce déplaisir, et les prie de ne rien faire qu’il n’ait parlé à leurs officiers. Pendant qu’il raisonne avec eux, on entend sonner la trompette : il s’avance croyant que ce fût la compagnie ; mais il fut étrangement surpris de voir le Nain de la princesse Julie, lequel, armé à l’antique et monté sur un grand coursier, sans lui donner le loisir de le reconnoître, pousse sur lui à toute bride et lui rompt au milieu de l’estomac une lance de paille qu’il avoit mise en arrêt, lui jetant en même temps un cartel de défi en vers fort galants. Il ne fut pas longtemps à revenir de l’étonnement où cette surprise l’avoit jeté ; car les deux carrosses parurent aussitôt, et les éclats de rire lui firent perdre sa mauvaise humeur. Il reçut cette agréable compagnie de meilleur cœur qu’il n’auroit fait l’autre ; mais ce ne fut pas sans avoir puni par quelques soufflets ce petit Nain audacieux de sa téméraire entreprise.»[1]

Tout cela est très-aimable et tout à fait délicieux ; mais il nous faut rabattre du d’Andilly-Cincinnatus, ou plutôt en revenir à le classer parmi les Romains de la Clélie.

Que de réductions ainsi, j’imagine, si nous avions en toutes choses les moyens de confrontation ! Ils ne nous manquent pas pour d’Andilly ; et comme ce qui restera du personnage sera encore très-suffisant, très-digne d’affection et de respect, je ne m’en ferai pas faute avec lui !

Balzac a résumé les éloges qu’il lui donne, par un mot adopté des Jansénistes et souvent cité, «que c’étoit un homme qui dans le monde ne rougissoit pas des vertus chrétiennes, et ne tiroit point vanité des morales.» La phrase est spécieuse et très-bien trouvée ; mais nous en savons déjà assez pour voir que ce n’est qu’une phrase.

Allons tout de suite à l’autre extrémité ; osons écou-

  1. Mémoires de l’abbé Arnauld (année 1634).