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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/281

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LIVRE DEUXIÈME.

savoir quelle est la forme de vie de ces illustres Solitaires dont Amilcar vient de vous parler. Je veux pourtant la contenter en peu de paroles, car il ne me seroit pas possible de vous apprendre tout ce qui me reste à vous faire savoir, si je voulois vous entretenir à fond de la vertu de ces hommes admirables dont vous voulez que je vous parle. Il faut toutefois que je vous décrive en deux mots[1] le lieu qu’ils ont choisi pour leur retraite, afin que vous compreniez mieux la douceur de la vie qu’ils mènent. Sachez donc qu’assez près de la mer, entre Érice et Panorme, s’élève une montagne très-fertile, qui est escarpée de tous les côtés, et qui, par son assiette extraordinaire, passe pour un des plus beaux endroits de notre île, qui est une des plus belles du monde. Mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que lorsqu’on arrive à l’endroit le plus élevé, on découvre une agréable plaine de douze mille pas de tour, qui en occupe tout le haut ; et, pour rendre ce lieu-là encore plus extraordinaire, il y a une éminence au milieu de cette plaine, qui sert de citadelle à tout le reste[2] ; car on découvre de là les trois avenues par où l’on peut aller à cette montagne, qui est tellement environnée de rochers et de précipices, du côté de la terre et de celui de la mer, qu’il est aisé de garder l’espace qui est entre les deux. Aussi ne peut-on aller que par trois endroits à cette belle solitude ; encore y en a-t-il deux très-difficiles. Cependant il y a de belles fontaines en ce lieu-là, et un très-bon port au pied de cette fameuse montagne, qui a même le privilège qu’on n’y a jamais vu nulles bêtes venimeuses ni nul animal sauvage ; et sa beauté est si grande, que n’ayant jamais pu trouver de nom assez beau pour elle, on ne lui en a point donné de particulier, et le port qu’elle a sert à la distinguer des autres montagnes. Voilà donc quel est le lieu où sont retirés un petit nombre de gens sages, qui, après avoir connu toutes les vanités du monde, s’en sont voulu dégager. Mais

  1. Ces deux mots deviennent tout de suite interminables : la concision dans le style n’était pas encore inventée, ou du moins les Provinciales, qui en offraient le modèle, ne faisaient que de paraître.
  2. Il n’est pas besoin de faire remarquer que cette prétendue description des lieux est toute fantastique.