Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
319
LIVRE DEUXIÈME.

traduites, et les prit à la lettre plus que dans leur vrai sens, j’aime à le croire ; il se consola, mais d’une consolation selon le monde. Il y rentra, se remaria en 1661, moyennant dispenses, avec mademoiselle Anne de Rohan, fille de M. de Montbazon, et par conséquent sa propre tante,[1] et de plus sa filleule : ce qui parut cumuler toutes les chutes. Cette tante n’était qu’une enfant auprès de lui, mais, à ce qu’on nous dit, bien belle. À la mort de celle-ci (1684) et dès l’année suivante, il se maria une troisième fois ; il aimait chacune de ses femmes, vir uxorius, mais surtout il aimait le mariage. Les historiens de Port-Royal, après avoir justement dénombré les bienfaits du duc de Luines, les généreuses libéralités de ce Joseph d’Arimathie, courent vite sur cette fin et la dissimulent de leur mieux. Il mourut en 1690, et demeura de loin en fort bons termes d’ailleurs avec Port-Royal.[2] Ses filles du premier lit y avaient été postulantes et y auraient pris le voile, si on l’avait permis : ses filles du second lit y furent placées comme

  1. Ou à peu près, madame de Chevreuse, mère de M. de Luines, étant fille également de M. de Montbazon, mais d’un lit précédent, et ainsi demi-sœur de sa nouvelle belle-fille. — On lit dans les Mémoires de Fontaine (au tome II, p. 246-251) toute une conversation de madame de Longueville et de M. Singlin sur ce mariage qui les affligeait ; M. Singlin en parle à cœur ouvert.
  2. Un mot d’Arnauld, dans une de ses Lettres, donne bien la mesure du genre de services que Port-Royal continuait d’attendre de M. de Luines, et aussi de la réserve prudente qu’il s’imposait quelquefois. Il s’agissait d’un dessein qu’on prêtait alors à M. Colbert, qui était de donner aux deux maisons de Port-Royal réunies sa sœur, abbesse du Lys, pour supérieure : « J’ai pensé, écrivait Arnauld à la mère Angélique de Saint-Jean (23 avril 1680), si on ne pourroit point engager M. de Luines à le détourner de cette entreprise. Est-ce que les gens qui font profession de piété ne reconnoîtront jamais l’obligation qu’ils ont, et que l’Écriture leur marque en tant d’endroits, de travailler autant qu’ils peuvent à empêcher que les innocents ne soient opprimés ? » Arnauld ne se le faisait pas dire deux fois pour taxer les gens de tiédeur et de mollesse.