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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/359

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LIVRE DEUXIÈME.

de Sion, et pour y être aussi l’humble interprète des choses de Sion.

Vers deux heures, à de certains jours, les prisonniers, par faveur, montaient et se promenaient sur les terrasses : de là on entrevoyait quelquefois des amis, mais sans oser les reconnaître ; on se montrait l’église Saint-Paul, en pensant à l’Apôtre et à ses liens : tout auprès le grand Dôme des Jésuites arrêtait les regards, comme une image de leur domination usurpée ; mais de l’autre côté, la plus agréable des perspectives était celle du Donjon de Vincennes qui portait vers le ciel le vivant souvenir de Saint-Cyran.

Qu’importaient, après cela, aux deux amis rentrés les bruits du dehors, l’écho de l’injure qui leur en arrivait sourdement, et que même le Père Mascaron, prêchant à deux pas de là, aux Filles de Sainte-Marie, devant l’archevêque, se fût étendu sur les diverses espèces de solitude, et particulièrement sur celle des prisonniers qu’il appelait avec intention une solitude d’ignominie ? J’en suis fâché pour le panégyriste de Turenne, mais M. de Saci humilié n’en savourait que mieux ce qu’il appelait sa chère solitude.

Cependant, malgré cette sorte de charme, malgré les facilités que lui procurait pour l’étude la compagnie de Fontaine, malgré les égards du bon major Barail, qui corrigeait de son mieux les duretés du très-grossier gouverneur,[1] M. de Saci avait de quoi souffrir ; il subissait de cruelles privations : la plus sensible fut d’être privé, tout ce temps, des sacrements, même de la communion

  1. M. de Bézemaux. — À l’archevêque qui lui demandait si les prisonniers ne recevaient point de nouvelles, il répondait « qu’il faisoit le diable pour empêcher qu’ils n’en eussent et pour leur couper toutes les voies, mais qu’avec tout cela il ne pouvoit tout à fait l’empêcher, et que, lorsqu’ils étoient sur les terrasses, il venait toujours quelque pigeon qui leur en apportait. »