Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
LIVRE DEUXIÈME.

plus graves : « J’avois bien quelque chose à vous dire, mais il y faut une autre préparation que cela ; ce sera pour une autre fois. » Et l’on se retira un peu confus de cet éclat d’allégresse innocente.

Il semblait, ajoute Lancelot, que, même en ce moment de dispense si naturelle, M. de Saint-Cyran se fût dit tout bas dans sa discrète révérence, selon cette parole du Sage : « Filiae tibi sunt, non ostendas hilarem faciem tuam ad illas ; avez-vous des filles, évitez de vous montrer à elles avec un visage trop riant.[1] »

Mais le jour de l’Octave de sa sortie, on lui proposa de célébrer à Port-Royal une messe solennelle en action de grâces. Il était trop faible pour la dire lui-même, et il se contenta d’y communier avec l’étole.[2]Ce fut M. Singlin qui officia. M. Arnauld, en termes d’église, y faisait diacre, et M. de Rebours sous-diacre ; M. de Saci et Lancelot servaient d’acolytes. À la fin de la messe, les religieuses chantèrent le Te Deum. « Mais ce qui me parut plus remarquable que tout le reste, écrit Lancelot, fut ce que je vais dire. » Et je prie qu’on insiste sur chaque ligne de ce passage ; nous assistons d’un bout à l’autre à tous les actes de ces pieuses vies : qu’elles se peignent trait pour trait dans notre mémoire !

«Après le Te Deum, M. de Saint-Cyran envoya son domestique dans la sacristie, dire qu’il prioit tous les officiants et le Célébrant de s’assembler, et de lui tirer un Psaume tel qu’il plairoit à Dieu de nous l’envoyer, qui lui pût servir de cantique de joie et d’action de grâces pour dire à pareil jour, c’est-à-dire, tous les vendredis et tout le reste de sa vie.

  1. Ecclésiastique, chap. VII, 26.
  2. Ce qu’il faisait volontiers, surtout dans cette dernière année qui suivit sa sortie de prison. Il communia même de la sorte le jour de Pâques à sa paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à la grand messe, parmi le peuple ; et cette étole sur le manteau est un des griefs du Père Rapin contre lui. (Hist. du Jans.)