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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/392

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PORT-ROYAL.

méthode ordinaire ; M. de Saci à son tour appliqua la sienne. On sait qu’il parlait à chacun de l’objet favori, de l’occupation habituelle, partant de Ià pour revenir et ramener à Dieu. Il crut donc devoir mettre M. Pascal sur son fort et lui parler des lectures de philosophes dont on le voyait tout rempli. De là cet admirable Entretien sur Épictète et sur Montaigne.

On a peine à croire, quand on a lu le Dialogue dans les originaux, que tous les éditeurs de Pascal l’aient à plaisir tronqué et mutilé, qu’ils aient donné seulement les paroles de Pascal, qu’ils les aient données comme un discours écrit et suivi, en altérant les phrases, en accommodant les transitions, en y ôtant le plus qu’ils ont pu le mouvement, le naïf, le familier. Et tout cela, on ne sait pourquoi, sinon afin de se passer sans doute de ce personnage de M. de Saci qu’ils ne connaissaient guère.

Dans un manuscrit que j’ai des Mémoires de Fontaine je trouve des différences de diction avec le texte imprimé de ces Mémoires. Dans l’extrait qu’en ont fait les éditeurs de Pascal, de nouvelles différences se sont introduites par suite de la forme nouvelle dans laquelle on a taillé le chapitre. Et pourtant l’accent original perce à chaque instant et domine : il fallait être Pascal pour résister jusqu’au bout à toutes ces variantes.

Qui donc a recueilli sur le temps ces vives paroles ? Est-ce Fontaine, secrétaire fidèle ? ne serait-ce pas plutôt M. Le Maître, auditeur muet ? Dans tous les cas, elles tranchent avec tout ce qui les entoure ; le propre de la parole de Pascal était de se graver ainsi et de faire empreinte.[1]

  1. Cet Entretien parut pour la première fois en 1728, dans la Continuation des Mémoires de Littérature et d’Histoire du Père Des Molets (tome V, partie II). Mademoiselle Périer, qui vivait encore, retirée à Clermont, et très-jalouse de tout ce qui concernait la mémoire de son oncle, écrivit bientôt à ses amis de Paris pour