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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/422

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PORT-ROYAL.

l’herbe, dit-il, et les fleurs, et le fruict, et en veois la seicheresse : heureusement, puisque c’est naturellement. » Le mot revient comme la chose. Montaigne, en tout (plus je le considère, et plus je m’y confirme), c’est donc la pure nature.

Et pour que ceci ne se perde pas dans l’esprit comme une locution trop fréquemment et vaguement usitée, qu’on me laisse y revenir en tous sens, et traverser, percer, pour ainsi dire, tout droit devant moi avec cette vue.

Il y a du Montaigne en chacun de nous. Tout goût, toute humeur et passion, toute diversion, amusement et fantaisie, où le Christianisme n’a aucune part et où il est comme non avenu, où il est, non pas nié, non pas insulté, mais ignoré par une sorte d’oubli facile et qui veut se croire innocent, tout état pareil en nous, qu’est-ce autre chose que du Montaigne ? Cet aveu qu’à tout moment on fait de la nature jusque sous la loi dite de Grâce, cette nudité inconsidérée où l’on retombe par son âme naturelle et comme si elle n’avait jamais été régénérée, cette véritable Otaïti de notre âme pour l’appeler par son nom, voilà proprement le domaine de Montaigne et tout son livre. Ne nous étonnons pas que Pascal ait eu tant de peine à se débarrasser de lui, Montaigne étant encore moins la philosophie que la nature : c’est le moi. Ce n’est la philosophie, en un sens, que parce qu’on a déjà chez lui la nature toute pure qui se décrit et se raconte.

Pascal a foudroyé Montaigne ; il a serré ses pensées pour l’accusation capitale, et les a confrontées dans une violence permise au seul croyant, — je dis permise, si finalement le résultat s’y trouve. Et pourtant, afin de se bien expliquer Montaigne et cette indulgence de tant de personnes d’esprit qui n’y reconnaissent pas le venin, comme s’en plaint Arnauld dans l’Art de penser, il faut,