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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/430

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PORT-ROYAL.

Il en est, sachons-le bien, du cœur de presque chacun comme de certains pays où le Christianisme, en s’implantant, n’a guère fait que recouvrir et revêtir à la surface l’ancien culte qu’on y reconnaîtrait encore. Ainsi dans une Églogue sur Naples :

Paganisme immortel, es-tu mort ? On le dit ;
Mais Pan tout bas s’en moque, et la Sirène en rit.

Ce paganisme-là, immortel en ce monde jusque sous le Christianisme et plus raffiné dès lors, plus compliqué au cœur que l’ancien, se peint et brille dans sa réflexion la plus lucide en tout Montaigne.

Montaigne est, à ma conjecture, l’homme qui a su le plus de flots. Du flux et du reflux, il ne semble en avoir cure, ni de la grande loi régulière qui enchaîne la mer aux cieux : mais les flots en détail, il en sait de toute couleur et de toute risée ; il y plonge en des profondeurs diverses, et en rapporte des perles et toutes sortes de coquilles. Surtout il s’y berce à la surface, et s’y joue, et les fait jouer devant nous sous prétexte de se

    permette de le dire ; plus philosophique peut-être qu’il ne paraît. Je tiens à faire ressortir et à montrer, tantôt le côté abrupt, tantôt le côté plausible du point de vue janséniste, à indiquer l’état et le remède chrétien, s’il se peut, mais au moins, mais au pis, à noter le mal humain, à démasquer la fourbe humaine et l’inconséquence presque universelle. C’est ce que je crois de plus vrai, après tout ; aux moments même où j’ai le malheur de ne pas espérer la réparation et le mieux, c’est encore dans ce sens réel que m’apparaît en fait la généralité des choses. — Entre Montaigne et Pascal, serré ici que nous sommes, toute ambiguïté cesse ; lâchons le mot : rien n’est plus voisin d’un chrétien à certains égards qu’un sceptique, mais un sceptique mélancolique et qui n’est pas sûr de son doute. J’aurais encore atteint mon but quand mon travail sur Port-Royal ne serait que l’histoire d’une génération de Chrétiens, écrite en toute droiture, par ce sceptique-là, respectueux et contristé. — Et n’était-il point un de nos pareils celui qui a dit : « Je suis assez profondément sceptique pour ne pas craindre par moments de paraître chrétien.»