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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/440

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PORT-ROYAL.

Ce que nous disons là du repentir, il faut le redire de l’idée à’immortalité : elle fuit peu à peu en lisant Montaigne. Il ne croit volontiers qu’à la jeunesse : à vingt ans donc, on est en puissance ce qu’on sera ; à trente, on a le plus souvent fait ses plus grandes choses. Si, plus tard, la science et l’expérience semblent augmenter, la vivacité, la promptitude, la fermeté, ces autres parties bien plus nôtres, se fanissent et allanguissent. La vieillesse nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage[1]; il ne se voit presque point d’âmes, en avançant, qui ne sentent l’aigre et le moisi (Amyot disait le rance) : « Puisque c’est le privilège de l’esprit, continue l’agréable malicieux, de se r’avoir de la vieillesse, je lui conseille, autant que je puis, de le faire : qu’il verdisse, qu’il fleurisse ce pendant, s’il peult, comme le guy sur un arbre mort. » Et il ajoute en branlant la tête : Je crainds que c’est un traistre. Voilà de ses mots. Affirmons pour lui. Il n’a pas l’idée de ce perfectionnement inverse spirituel et moral, de cette maturité croissante de l’être intérieur sous l’enveloppe qui se flétrit, de cette éducation perpétuelle pour les cieux, seconde naissance, jeunesse immortelle, qui se garde et se gagne, qui s’augmente en s’épurant, qui se renouvelle d’autant qu’elle dure davantage, et qui fait que parfois, pour ce printemps éternel, le vieillard en cheveux blancs n’est qu’en fleur. — Illusion peut-être, utopie dernière, mais de celles qu’un Franklin lui-même caressa !

Le chapitre capital de Montaigne, et de plus longue haleine, dans lequel sa vigueur s’est donné le plus de champ, est celui qu’il intitule : Apologie de Raimond

  1. Et les rides du front passent jusqu’à l’esprit,

    a dit Corneille ; mais de ces vers-là dans Corneille, quand on en ferait provision, on ne conclurait jamais à rien de diminuant pour l’essence humaine ; car l’atmosphère morale, justement, y est tout autre, fortifiante et toute généreuse.